Le principe de précaution

La lutte contre la pandémie de COVID 19 a entraîné un confinement à l’échelle mondiale sans rencontrer beaucoup de résistances, par peur du virus, bien sûr. Pourtant les mesures d’interdiction des espaces naturels, pour ne citer que cet exemple, étaient totalement arbitraires. La deuxième phase de confinement a mis davantage en relief l’incongruité ou l’absurdité de certains interdits, les catégories professionnelles frappées de plein fouet manifestent parfois (par exemple les artisans, superbement ignorés par Macron car ils ne font plus partie de son logiciel tourné vers “la start up nation”, l’artisanat c’est ringard) mais s’inclinent. C’est que le “principe de précaution” a gagné les consciences.

Ce “principe de précaution” est à géométrie variable, il ne s’applique pas aux industries polluantes, à commencer par le nucléaire, à la vente d’armes de plus en plus meurtrières, à l’extraction de sources d’énergie qui saccagent la planète, gaz, pétrole… Il n’a nullement empêché de réduire les lits hospitaliers ou de détruire les stocks de masques par souci d’économie.

PNG - 202 kio Mais ce principe permet d’asservir les individus et de les culpabiliser ; pour le COVID 19, l’argumentaire est le suivant : “si vous tombez malade, c’est que vous n’avez pas été assez prudent.e, vous ne vous êtes pas assez enfermé•e ; vous n’avez pas honte d’aller engorger les urgences qui n’ont pas que vous à soigner !” Il faut protéger des services médicaux submergés… comme il faut protéger les flics surarmés des caméras des journalistes, des manifestant.es mal intentionné•es à leur égard. La loi sur la “sécurité globale” (mieux vaudrait dire “totale”, le totalitarisme est en germe) est conçue pour assurer la protection des forces de l’ordre face à des citoyen.nes soucieux, soucieuses de transparence, pour masquer les violences policières, occulter abus et bavures (pas vus, pas pris). Il faudrait trafiquer ou supprimer les images des caméras de surveillance qui témoignent précisément de toutes leurs dérives ! Le société de surveillance généralisée est censée prévenir les attentats. La ville de Nice, pionnière en matière de vidéosurveillance et de contrôle policier n’est pourtant pas épargnée mais qu’importe, on prétend toujours que les conséquences seraient encore plus dramatiques sans cette surenchère sécuritaire de la municipalité.

Entretenir une prétendue demande sécuritaire pour masquer l’incurie

Le gouvernement et ses exécutant.es à l’Assemblée nationale s’appuient ou s’appuieraient sur une demande de sécurité croissante de la population ; chaque fait divers tragique, abondamment et complaisamment relayé par les médias, alimente ce besoin sécuritaire.

S’agissant du COVID 19, chaînes d’information en continu et TV du service public ont rivalisé dans le matraquage anxiogène, détaillant la courbe exponentielle des morts, multipliant les images d’hôpitaux débordés, soignant.es héroïques, de patient.es intubé.es, de malades en réanimation, nourrissant l’angoisse générale. Le sensationnalisme augmente les revenus publicitaires, l’émotion sert “en même temps” la propagande du pouvoir.

L’épidémie existe certes, mais les rares médecins qui dénonçaient le règne de la peur et la gestion catastrophique de la pandémie ont été stigmatisé.es ; le découpage des événements par les principaux canaux d’information (TV, radios, presse à grand tirage) est un choix qui vise à manipuler l’opinion. Après tout, on pourrait couvrir de cette manière les accidents de la route ; il y a des mort.es tous les jours, notamment à moto (je me souviens d’une courbe de surmortalité des jeunes hommes liée à ces conduites à risque).

Mettre l’accent sur la sécurité routière obligerait à freiner un des moteurs de la consommation et à pointer l’insuffisance de politiques de transport en commun. Le ministre de la Santé préfère pleurer sur un des rares jeunes malades du COVID plutôt que sur d’autres drames. Le confinement a eu des effets nocifs sur la jeunesse, les tentatives de suicide ont doublé d’après des témoignages médicaux.

L’insouciance des étudiant.es a été pointée du doigt, comme si cette tranche d’âge portait une quelconque responsabilité dans l’absence d’efficacité des politiques de santé publique en matière de masques, de tests, de lits , de matériels, de coordination et suivi des malades. Et les EHPAD ! Est-ce la faute des jeunes si, au lieu de créer de petites unités pour accueillir les personnes âgées dépendantes, la politique consiste à les entasser toutes dans d’immenses bâtisses afin de rentabiliser la gestion ? De diminuer les coûts dans les établissements publics, et d’augmenter le profit des actionnaires dans les structures privées ? Ainsi la contamination est aussi probable que sur un bateau de croisière ! En outre, le manque de personnel a contraint les établissements sanitaires et médicosociaux à faire travailler des soignant.es atteint.es par le COVID, mais asymptomatiques. Plus de principe de précaution qui tienne… Comment, dans ces conditions, éviter une hécatombe ? Grâce à une réclusion prolongée en chambre, à la fin du droit de visite. Bref en ôtant aux pensionnaires, déjà assigné.es à résidence ordinairement et confiné.es habituellement, le peu de liberté qui leur restait… et leurs dernières raisons de vivre.

À noter que les personnes handicapées subissent, elles aussi, des restrictions de liberté par principe de précaution. Dans les années 70 du siècle dernier, Fernand Deligny et d’autres précurseur.es ont pu proposer des établissements ouverts pour accueillir des autistes qui profitaient de la nature et de pédagogies innovantes. Aujourd’hui, on ne peut proposer de créer un lieu d’accueil, il faut répondre aux appels à projets des Agences Régionales de Santé qui quantifient, codifient les besoins, fixent les normes, imposent des barrières de sécurité (pas de fugue possible… mais ces contraintes peuvent augmenter la violence, et c’est la spirale : camisole chimique, évictions de l’institution et internement psychiatrique), s’opposent à des initiatives laissées aux personnes (faire la cuisine serait trop dangereux par exemple). On imagine aussi combien le confinement a pu perturber les jeunes autistes, la version 2 a d’ailleurs assoupli les rigueurs de la première tant les contraintes étaient insupportables et incompréhensibles pour certains.

Et à l’école, que penser de l’obligation du port du masque pour des enfants de six ans par “principe de précaution” ? Et de toutes les mesures brutales, chaotiques, contradictoires prises sans concertation ? Mais le formatage des esprits, l’injonction à la docilité ne datent pas d’aujourd’hui. Ce qui me frappe, c’est la façon dont l’univers sécuritaire s’inscrit dans l’architecture même de nombreux établissements scolaires, des grilles toujours plus hautes, des murs toujours plus élevés, des systèmes de surveillance toujours plus sophistiqués,portiques, caméras, censés éviter toute intrusion. Ce n’est le cas de toutes les écoles, et certains lycées ou collèges de centre ville (bourgeois !) gardent des parcs sympathiques autour des bâtiments. Mais de moins en moins. Dans un coin des Hautes-Alpes, j’ai pris de loin pour une prison une bâtisse aux murs épais, gris, cernée de piques pointues, impressionnantes, qui, de près s’est avérée être le collège du secteur. Les casernes d’antan avaient quelquefois une allure beaucoup plus avenante.

Réagir face au “libéralisme” de Macron

Dans le contexte de peur bien orchestrée du COVID et des attentats, le pouvoir espère faire passer facilement son arsenal sécuritaire mais se heurte tout de même à une opposition résolue. L’emprise du “tout sécuritaire” doit être dénoncée et l’instrumentalisation d’une épidémie réellement meurtrière et d’attentats dramatiques doit se retourner contre Macron et les aides de camp de son “conseil de guerre”. Une conclusion s’impose : Macron s’est imposé en se prétendant libéral, mot usurpé s’il en est car, dans sa première acception, il s’agirait d’être généreux (envers les plus riches, dont acte, mais les plus pauvres, basculant dans la misère, seraient plutôt plongé•es dans “les eaux glacées du calcul égoïste” inhérentes au capitalisme, néo ou pas) et dans sa deuxième, il est question de promouvoir “la liberté individuelle” or elle n’a jamais été aussi restreinte. Liberté de circuler remise en cause (y compris la prison pour trois infractions au confinement !) et liberté d’entreprendre, pourtant sacrosainte en système capitaliste, suspendue sine die pour des pans entiers de la population alors que les justifications sanitaires ne sont pas avérées. “Adieu veau, vache, cochon, couvée…” pour une multitude de petits (auto, micro) entrepreneur•es dont la fermeture prolongée précipite la faillite… Et ne parlons pas de la liberté de rassemblement, de manifestation… quelle aubaine après Gilets jaunes et mouvement social sur la question des retraites ! Mais le pays, un temps sidéré et muselé, commence à réagir face à un pouvoir qui libère les marchandises et entend réduire la population au mutisme et à l’immobilité en agitant notamment… “le principe de précaution”. Le néolibéralisme n’est que le nom d’un régime autoritaire qui réduit à peau de chagrin toutes les libertés publiques… et même privées avec des moyens de vidéo surveillances, des drones, des applications numériques de plus en plus intrusives.

Marie-Noëlle Hopital


article paru dans la revue n°5 de janvier 2021 de L’Émancipation syndicale et pédagogique