LA FRANCE EN LAISSE

Article paru dans le n°4 de la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique (décembre 2020)

Nous voici à nouveau confinés, enfin, plus ou moins… Jupiter a tranché. Ce n’est pas le gouvernement, encore moins le Parlement , ni les collectivités territoriales qui décident. Régions ou départements n’ont pas voix au chapitre, les maires n’en parlons même pas. Macron s’entoure d’un conseil de défense. Le Général de Villiers le disait il y a peu : la France est une patrie merveilleuse pour l’armée : on peut déclarer la guerre comme on veut, un président belliciste et un chef militaire suffisent.

On n’a pas, comme ces malheureux anglais, de chambre à consulter, ou de véto à craindre. Certes nous sommes fiers de notre « République », mais la démocratie a ses limites, vite atteintes. La politique étrangère n’est jamais vraiment questionnée, quand un avion de l’armée française s’écrase dans un pays où il accomplit une « mission secrète »sans que cela corresponde à une opération extérieure officielle, nul ne s’étonne où ne s’interroge. Nous intervenons sur tant de fronts que le citoyen moyen ne saurait même pas les nommer. Mais jamais aucun lien n’est établi entre les attentats sur le sol français et les « OPEX ».

Et la politique intérieure, est-elle plus contrôlée ? Ici ce n’est pas comme en Allemagne, on ne va tout de même pas demander l’avis d’élus locaux dont les partis sont opposés à notre monarque républicain. Ici ce n’est pas comme en Belgique où les gens peuvent sortir sans attestation. Il faut donner à nos armadas policières de quoi s’occuper à temps plein.

On dira qu’il y a bien pire ailleurs, j’en conviens, je préfère vivre dans l’Hexagone qu’en Syrie. Mais si nous nous comparons aux pays d’Europe occidentale, la patrie « des droits de l’homme et du citoyen » n’est peut-être pas la mieux placée. Juste avant le confinement drastique, on se souvient de la violente répression policière contre les gilets jaunes, mains arrachées, yeux crevés, nombreux blessés afin que « le pays se tienne sage ». Les « forces de l’ordre » tuent sans être inquiétées, de ZINEB REDOUANE à Steve, sans parler des bavures lors d’interpellations pour des raisons anodines, Cédric CHOUVIAT est un bon exemple, impossible d’invoquer le racisme . Le mouvement social de grande ampleur sur les retraites s’est terminé par un 49.3 à la hussarde , l’ancien premier ministre a eu le dernier mot, juste avant le confinement. Dernier bras d’honneur à le démocratie avant de regagner ses pénates havraises.

En permanence sous un régime d’exception

Mais si nous confinons c’est parce qu’un péril grave et imminent nous menace, dira le chef suprême. SI on sonne le glas des libertés, c’est pour le bien de toutes et tous. Cependant, de lois d’urgence contre le terrorisme en lois d’urgence sanitaire, la France vit presque en permanence sous régime d’exception. Et, cerise sur le gâteau, nous allons cumuler les deux. Je songe à ces grenouilles plongées dans l’eau tiède… peu à peu on augmente la chaleur, elles finissent ébouillantées, et grillent sans s’en apercevoir. En France, on s’habitue peu à peu à la restriction des libertés individuelles.

Lors du premier confinement, du moins y avait-il un minimum de clarté puisque les mesures liberticides , si absurdes soient-elles, ( par exemple l’ardeur des gendarmes à traquer des plongeurs en Méditerranée pour vérifier leurs attestations) étaient relativement équitables. Rien de tel cette fois. Après le couvre feu, lié à sans doute par les scientifiques aux habitudes noctambules du virus, aux fermetures ciblées plus punitives qu’efficaces apparemment, voici donc ce qui se profile : tout rassemblement est interdit … sauf autorisation du souverain. Traduisez : vous serez invités à vous réunir pour rendre hommage aux fidèles assassinés à Nice , mais le moindre gilet jaune verra combien grenades et LBD sont appelés à servir l’État dit « de droit ».

Et les associations ? politiques, sociales, culturelles, socioculturelles, ludiques, sportives, que sais-je ? Elles devront cesser leurs activités sauf… les caritatives, bien sûr. L’Etat étant incapable de subvenir aux besoins de population qu’il prive de revenus, réduit à l’inaction, au chômage, à la marginalisation, il demande aux Secours Populaire et Catholique, à Emmaüs, à la Croix Rouge et tutti quanti de se substituer aux pouvoirs publics défaillants. Retour au XIXe siècle.

Braver le virus pour que l’économie tourne

Malgré la virulence du virus, il faut le braver pour que l’économie tourne… oui mais… pas n’importe laquelle. Pas celle des petits, des sans grades, des artisans, des commerçants, des intermittents du spectacle, aubergistes, animateurs, moniteurs sportifs, auto-entrepreneurs, guides touristiques… celle des grandes entreprises. Si le COVID 19 est mortel, c’est donc sur l’autel du capitalisme mondialisé que travailleuses et travailleurs des usines, grandes surfaces, du BTP, des transports, des plates-formes de livraison seront sacrifiés ; l’exemple des librairies est emblématique des choix du pouvoir. Elles ferment alors que les magasins de bricolage restent ouverts ! Voilà pour la « première nécessité » . Évidemment tous les lieux de culture seront bouclés, bibliothèques, cinémas, théâtres, galeries, salles de spectacle. Mais les GAFA sont là, leurs profits vont augmenter mécaniquement. La République est en Marche, oui, vers le néocapitalisme intégral qui consiste à rejeter tous les canards boiteux. OPA, concentrations, mastodontes capitalistes prospèrent, dopés par l’argent européen. Le petit coiffeur met la clé sous la porte, le cordonnier jette le dernier soulier.

Et la liberté d’expression ?

Elle se meurt, malgré les apparences. Ce ne sont pas les multinationales qui promeuvent les petits éditeurs, pas les chaînes d’information en continu et la presse officielle aux mains de quelques magnats copains de Macron qui vont permettre le débat démocratique ou le recul critique. On y entend essentiellement des discours de droite et d’extrême-droite. D’ailleurs, le temps télé c’est « un temps de cerveau disponible » pour les messages publicitaires. Dixit naguère le numéro 1 de TF1, plus sincère que cynique. J’oubliais les cérémonies religieuses quasi supprimées, sauf pour enterrer les victimes ! Beau progrès de l’exécutif.

Tout se passe comme si le pouvoir entendait censurer toute voix singulière, museler la liberté d’expression, sous prétexte de s’attaquer au virus. Tous les lieux d’échanges et de convivialité sont interdits. En revanche on a le devoir de se contaminer dans les établissements scolaires, les transports, les entreprises, et celui de faire la charité. Salarié-e-s des secteurs productifs et des services publics sont condamnés à être dévorés par le Moloch néolibéral. A moins que le coronavirus ne soit pas si dangereux.

Mais alors à quoi sert de confiner encore ?

Cela sert, c’est vrai, à masquer les failles énormes de notre système de santé submergé par l’épidémie. Manque de lits, de personnel, incapacité à coordonner public et privé et à gérer l’organisation sanitaire. L’absence de politique de santé publique atteint des proportions ubuesques, quand on passe de l’interdiction de porter des masques à l’obligation contrôlée par des hordes de CRS ( qui devraient avoir d’autres missions, vu « l’ensauvagement » du pays et la menace terroriste extrêmement élevée), quand il faut 15 jours pour obtenir le résultat des tests et que les personnes positives n’ont aucun suivi. On se confine pour éviter de saturer un système hospitalier exsangue, à bout de souffle, un peu soulagé par les pays voisins la dernière fois. Car il ne faut pas compter sur l’armée, la sécurité civile. Y a-t-il une erreur qu’ils n’ont pas commise ? On attend le tome 2.

En tous cas, Macron, avec ses ministres , ses godillots, députés accros aux ordonnances, poursuit son quinquennat mortifère. Et instrumentalise les peurs. Pas seulement celle du virus. Celle de la délinquance, celle du « séparatisme », celle de « l’islamo-gauchisme » à chaque jour son épouvantail . Et chaque jour la laisse du sujet français ( sommes-nous encore des citoyens ?) se raccourcit un peu plus. Il reste internet, les réseaux sociaux. Des lois sont en préparation pour nettoyer tout ça. La République, soit, mais liberticide, inégalitaire, et , côté fraternité, les migrant-e-s ont quelque doute.

Marie-Noëlle HOPITAL

à lire aussi sur le site national :http://www.emancipation.fr/