En finir avec "l’état d’exception"

Intervention d’Hélène Bertrand au Cdfn de la FSU, le 16 mars 2021

Dans le supplément retraité de l’Université Syndicaliste de février 2021, lors d’une interview intitulée « Défendre nos libertés », G. Aschiéri affirme que depuis mars 2020, nous vivons sous un régime d’exception, « l’état d’urgence sanitaire ».

On ne peut qu’être d’accord avec cette caractérisation de « régime d’exception » et déplorer qu’elle n’apparaisse dans la presse syndicale qu’un an après le vote de la loi du 23 mars 2020 (et ses prorogations successives). Car pour « défendre nos libertés », encore faut-il ne pas confondre l’urgence sanitaire et l’état d’urgence.

L’urgence sanitaire impose, par exemple, d’accorder des moyens massifs à l’hôpital public, l’ouverture massive de lits, le recrutement de personnel avec augmentation significative des salaires… 

À l’inverse, déclarant « nous sommes en guerre », Macron a décidé l’état d’exception.

« L’état d’urgence » est un dispositif juridique d’exception qui octroie à l’exécutif des pouvoirs exceptionnels.

Or, la loi d’état d’urgence sanitaire du 23 mars 2020 (prorogée à plusieurs reprises) n’a pas suscité la moindre réaction, opposition ni même interrogation des organisations syndicales (et partis de « gauche »). Cela a eu pour premier effet de déclencher « un état de sidération de la population, y compris des intellectuels et universitaires » [1].

La loi du 23 mars 2020 est calquée sur la loi d’état d’urgence du 3 avril 1955, instaurée pendant la guerre d’Algérie. Elle autorise l’exécutif à réduire les libertés démocratiques sans avoir recours à l’article 16. Elle lui donne des pouvoirs exceptionnels attentatoires à la liberté d’aller et de venir. Elle a permis les ordonnance : la possibilité d’allonger la durée du temps de travail, de limiter les actions collectives… Avec le confinement, le couvre feu, rester chez soi devient la règle ; la liberté de se déplacer, l’exception. 

« L’état d’urgence » justifie tout  : l’interdiction de la publicité des audiences, la fermeture des prud’hommes, le fait de passer devant le procureur sans avocat… Elle confie à la police le soin de déterminer les contours de ce qui est légal.Alors que se multiplient les lois liberticides et les mesures contre la jeunesse, les salariés, « l’état d’urgence sanitaire » est utilisé pour cadenasser les résistances et mobilisations. 

Dans le même temps Macron poursuit sa politique sanitaire scandaleuse : après la pénurie de masques, de médicaments, les scandales et l’opacité sur différents aspects de la vaccination, le refus de satisfaire les revendications des soignants, la poursuite des fermetures de lits, la mise en cause de la liberté de prescrire vont à l’inverse des mesures de santé nécessaires…

Alors que se multiplient les attaques contre les métiers des personnels enseignants, des soignants, de leurs garanties statutaires... la FSU peut-elle qui continuer à se taire sur l’état d’exception ?

La défense des libertés démocratiques implique en premier lieu d’exiger l’abrogation de la loi du 23 mars 2020 (et ses prorogations successives) qui instaure l’état d’exception et de proposer l’organisation d’une campagne unitaire.

Il y a urgence, au moment où l’état d’urgence devient progressivement la règle et remplace le droit commun. L’après Macron se construit aujourd’hui, en combattant résolument sa politique, en agissant en premier lieu pour en finir avec l’État d’exception qui entrave les mobilisations lesquelles seules peuvent imposer les véritables mesures nécessaires aux soins, à la santé et à la protection de la population.


Motion Émancipation

Abrogation de la "loi d’urgence" du 23 mars 2020, de toutes ses prorogations

Depuis le 23 mars 2020, nous vivons sous un régime d’exception avec la loi sur "l’état d’urgence sanitaire". C’est l’ENSEMBLE de la loi du 23 mars 2020 qui légalise et organise "l’état d’exception" (sous la forme "d’état d’urgence sanitaire") en le faisant entrer dans le code de la santé publique. "L’état d’urgence sanitaire" a déjà été prorogé plusieurs fois ; il peut proroger jusqu’au 31 décembre 2021 (le projet de loi instaurant un régime pérenne d’urgence sanitaire n’est pas abandonné).

On ne peut confondre "l’urgence sanitaire" (qui impose par exemple, d’accorder les moyens nécessaire à l’hôpital public, de satisfaire les revendications des personnels…) et "l’état d’urgence". L’"état d’urgence sanitaire" est un dispositif d’exception qui octroie à l’exécutif des pouvoirs exceptionnels attentatoires aux libertés démocratiques.

Comme la loi du 3 avril 1955, la loi du 23 mars 2020 s’inscrit dans la longue durée.
Rappelons que la loi du 3 avril 1955 a été utilisée à plusieurs reprises (notamment, et pas seulement, en 2005 suite à la mort de Zied Benn et Bouna Traoré, en 2015…). La loi du 23 mars 2020, calquée sur celle de 1955, pourra sous prétextes "d’urgence sanitaire", être réutilisée sans fin. Pire, comme on l’a vu en2017, où les mesures essentielles de "l’état d’urgence" de 2015 ont été intégrées au droit commun, tout montre que le gouvernement Macron entend procéder de même aujourd’hui.

Attachée à la défense des libertés démocratiques, la FSU exige l’abrogation de la loi du 23 mars 2020 (et de toutes les prorogations), et a fortiori elle s’oppose à toute prolongation de cette loi.

Notes

[1à lire : Arié Alimi Le coup d’état d’urgence, Le Seuil. Avocat pénaliste, Arié Alimi défend de nombreuses victimes des violences policières ; il est membre de la LDH.