Projets Macron-Ndiaye d’« école du futur » : une régression majeure à combattre résolument !

Dès le 17 mars, le candidat Macron à l’élection présidentielle annonçait un programme de choc contre l’enseignement public, avec la volonté affichée de remettre en cause le cadre national de l’école et le statut des enseignants. Depuis, en dépit de difficultés politiques réelles, le gouvernementet son ministre Pap Ndiaye confirment jour après jour les axes principaux des projets Macron pour l’école, et préparent une offensive importante contre les personnels et la jeunesse.

Lors de la présentation de son programme, Macron s’est largement appuyé sur l’expérimentation de Marseille, qui autorise de façon inédite le recrutement local sur la base d’un projet dans 59 écoles, et dont la généralisation a été annoncée le 2 juin. Pour illustrer la « révolution culturelle » qu’il prépare, il précisait : « Si un directeur veut porter un projet pédagogique, il est légitime qu’il ait une équipe qui adhère à ce projet. Donc je veux lui donner plus de liberté ».

La première ministre E.Borne prévoyait, dans son discours de politique générale, des « marges de manœuvre » pour les établissements en indiquait qu’il « serait illusoire de croire que les solutions seraient identiques, partout, sur tous les territoires ». En complément, le ministre Ndiaye ajoutait : « nous avons l’ambition de mettre entièrement à plat les conditions d’exercice du métier de professeur, bien au-delà de la question de la rémunération » (Les Échos, le 11 août).

Il faut le dire, et en dépit du manque de fermeté des réactions syndicales à ce stade, le projet Macron-Ndiaye d’ « école du futur » est un concentré de mesures réactionnaires, qui vise à aboutir à une nouvelle organisation de l’école, territorialisée, moins coûteuse en heures de cours, en postes statutaires et plus globalement en moyens, et plus conforme aux besoins immédiats des entreprises. La méthode prévue, qui relève dans une large mesure du « new public management », a été appliquée à des degrés divers ailleurs (États-Unis, Angleterre, Suède ..) conduisant à l’écroulement des systèmes scolaires.

Vers une autonomie pleine et entière des établissements

L’insistance du gouvernement sur le projet d’école ou d’établissement et la référence explicite à des financements conditionnés à ces projets témoignent de la volonté de disloquer le cadre national de l’école, et de substituer aux règles nationales d’attribution des moyens des contrats locaux disparates et par ailleurs soumis à toutes les pressions. Lors de son audition du 2 août à l’assemblée, le ministre Ndiaye indiquait d’ailleurs que les élus locaux seraient parties prenantes des jurys qui décideraient des financements accordés aux établissements en fonction de leurs projets.

Il ne peut être question de confondre les objectifs ministériels avec les milliers de projets portés par les personnels, souvent au prix d’une grande détermination, ni même avec les actuels projets d’établissement qui demeurent non contraignants. Ce que le gouvernement entend mettre place est conçu comme un levier visant à mettre les établissements, dotés de chefs, en concurrence pour avoir des moyens dont la somme globale ne peut être amenée qu’à diminuer.À l’instar de ce qui a été largement documenté dans les universités, « l’autonomie » tant brandie par le gouvernement ne pourrait signifier en réalité que la mise sous tutelle des personnels (en lien avec les caractéristiques de l’établissement, les parents, les « partenaires » locaux …), dont les pratiques pédagogiques seraient sous surveillance étroite et qui seraient inévitablement confrontés à leurs « résultats ».

En toile de fond, les projets Macron-Ndiaye ouvrent la voie à une définition locale des programmes et des horaires, avec des enseignements différents suivants les contextes, des écoles pour riches et des écoles dégradées pour une masse importante d’élèves. Macron a expliqué que « la réforme ne sera pas la même dans les quartiers Nord de Marseille, à Troyes et dans les Hautes Alpes », laissant augurer effectivement une explosion des inégalités.

De surcroit, un tel système impliquerait des contrats d’objectifs pour l’établissement avec une pression permanente sur les personnels. Macron indiquait ainsi le 17 mars : « on sait bien que dans une école on va avoir un professeur qui va changer les résultats des élèves et un autre non. On doit se donner les moyens de le mesurer. Cette transparence est bonne. Je veux la généraliser. Comme cela on pourra aussi comparer les méthodes pédagogiques ». Le conseil d’évaluation de l’école, crée par la loi Blanquer, jouerait un grand rôle dans ce dispositif pour déterminer (sur la base des résultats scolaires ? avec les parents, les élèves et les « partenaires » ?) si l’établissement et les personnels ont atteint les objectifs fixés.

Au-delà, il s’agirait de reprendre, pour l’école, la même pente qui a conduit à l’hôpital-entreprise, soumis à des objectifs chiffrés sur fond d’austérité, avec toutes les conséquences néfastes que l’on connaît !
Pour défendre notre métier, nos statuts, nos salaires… Il faut cesser de se prêter à la politique du dialogue social

La jeunesse en première ligne

La volonté de tendre vers des établissements autonomes s’accompagnerait d’un remodelage de la scolarité des élèves. L’un des aspects les plus symptomatiques des plans Macron-Ndiaye concerne le projet de réforme de l’enseignement professionnel, présenté comme « une révolution complète ». Comme le relève le SNUEP-FSU, ce projet consiste en réalité « à exclure du giron de l’éducation nationale tous les jeunes en difficulté sociale et scolaire »,ce dont témoigne la double tutelle accolée au ministère de l’enseignement et de la formation professionnels, qui dépend également du ministère du travail.

Dans le système voulu par le gouvernement, les lycées professionnels doivent fonctionner en « partenariat beaucoup plus étroit avec les entreprises ».D’une part il s’agirait pour les cartes de formations et les « certifications » de coller aux besoins des entreprises et d’autre part de tendre encore davantage au modèle de l’apprentissage patronal avec la promesse certaine d’une nouvelle diminution drastique des heures d’enseignement (doublement des stages annoncé en terminale). Les menaces précises qui pèsent sur la formation initiale sous statut scolaire s’accompagneraient de « la fin de l’hégémonie des diplômes » remplacés par « un outil de gestion des compétences ». La confédération des petites et moyennes entreprises ne s’y trompe pas en déclarant dans Le Monde du 31 juillet-1er août : « si l’éducation nationale et les lycées professionnels s’adaptent à la demande des chefs d’entreprise dans les bassins d’emplois, nous ne pouvons que nous en réjouir ».

Tout cela imposerait une réorganisation du collège, E. Macron annonçait début juin « des transformations inédites au collège, notamment au niveau de la 6e ». Un processus d’orientation serait développé dès la 5e avec une demi-journée dédiée, probablement dans l’objectif d’alimenter l’apprentissage et l’alternance. Au-delà, le ministre Ndiaye prenait soin d’indiquer le 2 août que le collège mérite « une attention toute particulière » ; pour de nombreux jeunes se profile un processus de déscolarisation, et la mise à disposition du patronat d’une main d’œuvre bon marché.

Des menaces claires contre le statut des enseignants

Pour mettre en place une telle école, « l’école du futur », assurément le statut des enseignants agit encore comme un obstacle majeur pour le gouvernement, qui est déterminé à faire sauter ce verrou.

C’est le sens du « nouveau pacte » pour les enseignants. Il s’agit d’ajouter de nouvelles obligations (remplacements, formations en dehors du temps de service, un suivi « poussé » des élèves, des relations avec le périscolaire), ce qui impliquerait un alourdissement de la charge de travail et une modification des obligations de service. Les précisions apportées par P. Ndiaye (au parisien le 26 juin) s’agissant de la question du remplacement semblent indiquer que le « nouveau pacte » induirait l’annualisation du service d’enseignement. La hausse très importante des crédits alloués à l’apprentissage dans le projet de budget constitue une claire menace contre le statut des PLP.

Par ailleurs, il y aurait un « droit d’option » sur ces nouveaux « contrats » pour les personnels actuellement en poste, ce qui rappelle la méthode employée à France Télécom. Le « pacte » serait obligatoire dès la rentrée 2023 pour les nouveaux collègues.

Dans un tel cadre, les enseignants devront non seulement signer le « nouveau pacte » (un avenant ?) mais aussi signifier leur adhésion au projet de l’établissement désiré avant toute affectation, sur le modèle de l’enseignement privé sous contrat. Le projet Macron prévoit la possibilité pour les chefs d’établissements de recruter les enseignants ou de « récuser des profils » , marquant la séparation entre l’obtention du concours et l’affectation. Ce qui constitue une menace supplémentaire pour des concours déjà affaiblis et qui pourraient se transformer en simple habilitation à enseigner. Cette mise en concurrence de chacun contre tous serait un puissant moyen pour diviser et saper les bases de toute mobilisation d’ensemble des personnels.

On se dirigerait vers un « statut » qui se déclinerait en fonction du contexte et du projet de l’établissement, la porte ouverte à sa remise en cause et à une définition locale des services. Avec le « pacte » et l’autonomie, il s’agirait d’avancer vers des rémunérations différentes entre enseignants et établissements, ce que ne masque pas Macron : « on ne va donc pas payer les professeurs de façon uniforme dans le pays ». Cette volonté de détruire les règles nationales de rémunération et d’introduire notamment la rémunération au « mérite » est à relier à la concertation annoncée au niveau fonction publique avec la volonté affichée de remise en cause des grilleset de droit à la carrière (avancement à l’ancienneté ..).

Un programme qui ne doit rien au hasard, l’exemple de la Belgique

Le programme Macron-Ndiaye intervient dans le contexte d’accumulation des « réformes » qui ont conduit à une dégradation importante des conditions de travail et d’étude dans l’enseignement. Cette accumulation a connu une accélération majeure depuis 2017, sous Macron et Blanquer, avec notamment la réforme du bac et du lycéemais aussi la loi de transformation de la fonction publique qui a mené à la dévitalisation des commissions paritaires. Ajoutons à cela la réforme des concours, sciemment affaiblis par le gouvernement, et dont les conséquences délétères (4000 postes non pourvus, « jobs dating ») cadrent avec les objectifs Macron-Ndiaye.

La volonté d’avancer vers un nouveau métier enseignant, sous couvert d’une prétendue revalorisation, apparaissait déjà au moment de la réforme des retraites (Macron à Rodez en Novembre 2019). Les mêmes objectifs et la contractualisation constituaient la base du grenelle de l’éducation, ouvert durant la crise sanitaire.Au-delà, la convergence de différents rapports sur l’autonomie et la remise en cause du statut (rapport de la cour des comptes en décembre 2021 et en juillet 2022, rapport sénatorial Longuet juin 2022 …) indiquent qu’il s’agit là d’une échéance importante.

S’appuyant sur un contexte dégradé, il s’agit aujourd’hui pour Macron et Ndiaye d’opérer un changement qualitatif radical, une réorganisation de l’école sur des bases néolibérales au profit d’un cadre propice à la mise en concurrence des écoles, voire à la privatisation du système scolaire.

Il est de ce point de vue intéressant de se pencher sur le cas de la Belgique francophone qui a connu des manifestations massives contre le « pacte pour l’excellence pédagogique ». Outre les similitudes dans les termes avec les projets Macron-Ndiaye, il y a également de fortes ressemblances dans le contenu des réformes.

Le « pacte » belge, auquel le cabinet McKinsey a largement contribué, s’est traduit par une multitude de décrets, avec l’ajout de nouvelles missions aux professeurs (formation continue obligatoire, travail collaboratif et diverses tâches dans l’établissement) et devait être complété par de nouvelles modalités d’évaluation des enseignants et des établissements. Ceux-ci sont tenus de rédiger des « plans de pilotage » (le projet d’établissement), sous contrainte locale et accompagnés d’objectifs chiffrés que l’établissement doit atteindre dans le cadre de contrats d’objectifs. En cas de manquements pour les établissements, « des sanctions sont prévues, pouvant aller jusqu’à des réductions, voire des suppressions, des moyens de fonctionnement et d’encadrement ». Pour les enseignants, la « répétition de deux mentions « défavorable » , obtenues au terme de deux procédures d’évaluation peut conduire à la fin de la relation de travail avec l’enseignant ».

Ces modalités d’évaluation ont constitué l’élément déclencheur de manifestations importantes. La mobilisation était également reliée au nombre élevé d’élèves par classe et au poids du travail administratif dévolu aux enseignants consécutivement à ces mesures ; Une enseignante résumait : « notre métier devrait être motivant, dynamique. Mais on nous retire tout ce qui nous permet de faire un travail de qualité ». Assurément, le pacte Macron-Ndiaye ne peut mener qu’à de tels résultats.

Des plans à rejeter en bloc ! Unité pour le retrait des projets Macron-Ndiaye !

Le gouvernement est parfaitement conscient que de tels projets provoqueront des oppositions chez les enseignants. Il cherchera à manœuvrer en masquant au départ les aspects les plus repoussants de son programme au travers d’une revalorisation imaginaire, ce dont témoigne la présentation fallacieuse du projet de budget de l’éducation. Il tentera surtout d’associer les organisations syndicales mais aussi les personnels à ses projets, en vue de freiner les mobilisations et de les circonscrire à de simples journées d’action inoffensives.

D’ores et déjà, le ministre Ndiaye a loué un « dialogue social de qualité » le 2 août à l’assemblée. Il y a également confirmé la méthode du gouvernement avec des concertations avec les organisations syndicales, autour de la prétendue revalorisation et du « nouveau pacte » notamment, et des « grands débats » dans chaque école et établissement en présence des associations et des collectivités locales. Ajoutons à cela de possibles discussions dans le cadre du « conseil national de la refondation ».

Cette méthode n’est pas sans rappeler le « grand débat sur l’école » organisé par le gouvernement Chirac en 2003, consécutivement à la réforme Raffarin des retraites qui avait entrainé une forte mobilisation des enseignants. Il s’agissait alors pour le gouvernement de l’époque de tenter de chercher des points d’appuis au sein d’une corporation qui lui était majoritairement hostile, une autre similitude avec la situation actuelle pour le gouvernement Macron. Cette concertation devait déboucher in fine sur la loi Fillon, régression importante largement combattue par les personnels, comme l’a rappelé l’ancien secrétaire général de la FSU Gérard Aschieri dans un message posté sur les réseaux sociaux.

Ces concertations locales épousent par ailleurs les objectifs sur l’autonomie des établissements, et sont conçus comme un instrument permettant de désamorcer toute velléité de combat centralisé contre la politique du ministère.Ce que ne manque pas de signaler P. Ndiaye : « ce sera l’occasion, dans chaque école de France, de proposer et d’imaginer ce qui peut être fait à l’échelle des établissements, afin que ces liens parfois distendus puissent être renoués. »

Assurément, les enseignants conservent des capacités de combat, le coup de semonce de la grève du 13 janvier dernier rappelle la force potentielle des personnels.Le gouvernement en a une claire conscience,c’est pourquoi il mise sur de multiples déclinaisons locales afin d’interdire les possibilités d’un combat d’ensemble et tente d’amener les syndicats à participer aux concertations sur tel ou tel aspect.

C’est un fait, les projets Macron-Ndiaye se situent aux antipodes des revendications des personnels et préparent de nouvelles et importantes dégradations. Participer aux concertations avec le gouvernement ne pourrait signifier que l’acceptation du cadre fixé par le pouvoir qui ne cherche qu’à se prévaloir d’une caution syndicale, et discuter de l’autonomie, de la contractualisation, de la liquidation des lycées pro ou encore de la remise en cause en cause du statut. Les plans du gouvernement doivent être rejetés en bloc !

Face à un tel programme, la responsabilité des organisations syndicales (SNES, SNUipp, FSU, CGT, FO, SUD ..) est d’exiger en toute clarté le retrait pur et simple du projet d’école du futur, de refuser toute discussion de ces plans et d’appeler nationalement les personnels à boycotter les « grands débats » sur l’école.Le retrait total du projet d’ « école du futur », du « nouveau pacte » et des diverses mesures doit être un préalable à toute discussion avec le gouvernement.

Force est de constater que tel n’est pas le cas à ce stade : on ne peut que relever l’extrême modération des réactions des directions des organisations syndicales, notamment celles de la FSU majoritaire dans l’éducation, alors que les projets Macron sont connus et confirmés depuis plusieurs mois, et s’étonner des déclarations de responsables syndicaux centrées sur la pseudo-revalorisation et qui font l’impasse sur la réalité des projets Macron.

Tout doit donc être entrepris pour que l’unité syndicale se réalise sur la revendication de retrait total des projets Macron-Ndiaye, dans l’activité dans les syndicats et en multipliant les AG et heures d’informations syndicales pour informer et mobiliser en vue de l’action. Sur ces bases, il sera possible de porter un coup aux objectifs du gouvernement et d’appeler à la mobilisation nationale pour le contraindre à reculer sur ses projets destructeurs, et ouvrir la voie à la satisfaction des multiples revendications des personnels (hausse des salaires, création de postes statutaires, un statut pour les AESH, l’abrogation des contre-réformes ...).

Ce texte est la version longue de l’article d’Eric Aba publié dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique n°1 de septembre 2022, article de la revue en PJ.

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