Congé de maternité : un droit qui doit être défendu
Le congé de maternité est un droit arraché de haute lutte. Il est aujourd’hui en partie menacé, via des mesures introduites dans la loi de financement de la Sécurité sociale de 2023. Ces mesures participent des attaques contre le droit du travail et contre la Sécurité sociale.
Mise en cause du congé de maternité
Il n’est pas possible de décrypter ici toutes les atteintes portées par la dernière loi de financement de la Sécurité sociale (LFSS 2023). L’une d’entre elle porte gravement atteinte au congé de maternité.
La LFSS 2023 transfère la prise en charge financière des indemnités journalières d’une partie du congé maternité (le congé postnatal) de la Caisse Primaire d’Assurance Maladie à la Caisse nationale d’allocations familiales (CNAF). S’agit-t-il là d’un simple jeu d’écriture ? Non.
Ce transfert révèle les objectifs du gouvernement Macron en matière de congé de maternité. Cette loi stipule que la part du financement des indemnités journalières au titre de la partie post-natale du congé maternité sera pris en charge par la Caisse Nationale d’allocations familiales (CNAF). Cela correspond à environ 2 Mds€ en 2023, soit l’équivalent du montant “observé ces dernières années des indemnités versées au titre de la période post-natale de ce congé”. Ce montant représente environ 60 % du coût total des indemnités journalières versées au titre de la totalité du congé de maternité.
Les attendus de la LFSS sont clairs : “Actuellement, la totalité des dépenses d’indemnités journalières au titre du risque maternité sont financées par la branche maladie. C’est un choix historique qui n’est plus cohérent. L’objet de ces dépenses n’est pas seulement de couvrir les frais et risques de santé spécifiques liés à la maternité mais aussi de permettre aux familles de se préparer et d’accompagner l’accueil de l’enfant à sa naissance ou son adoption. Les indemnités journalières versées au titre du congé paternité sont par ailleurs déjà financées par la branche famille, et ce depuis l’origine”.
Il s’agit donc de fait, de qualifier la partie post-natale du congé maternité comme un congé de garde d’enfant, ou un “congé parental”. Cela sous couvert d’égalité “homme/femme”, ou pour “impliquer plus les pères dans l’accueil de l’enfant”, ou encore afin de “faciliter la reprise du travail des femmes”. Pour le gouvernement, il y a identité entre la partie postnatale du congé de maternité et le congé d’adoption (lequel peut être partagé entre le père et la mère ou pris par un seul des parents adoptifs).
“Un choix historique qui n’est plus cohérent”
Que signifie cette assertion ? Si on doit se féliciter du recul de la mortalité infantile comme du recul des morts maternelles (liées à la grossesse, à l’accouchement ou à leurs suites), on ne doit pas oublier que cela est lié au système de santé publique et de Sécurité sociale, lequel est de plus en plus menacé.
Le droit spécifique à un congé prénatal et postnatal rémunéré accordé à la femme travailleuse enceinte et à la mère est le produit d’un long combat. Un combat pour protéger le nouveau-né et pour protéger le corps maternel qui subit de nombreuses modifications durant cette période. En effet, les modifications corporelles, anatomiques et physiologiques de l’organisme maternel, de la femme durant cette période, et la mise en place de l’allaitement, pour celles qui le souhaitent, sa régulation physiologique sont spécifiques à la femme, à la mère. Ainsi le droit spécifique à un congé prénatal et postnatal rémunéré reconnaît le droit au repos de la femme travailleuse enceinte et de la mère, et permet de préserver sa santé. C’est ce droit au repos, à la protection de la santé de la femme lié à la maternité, que le gouvernement cherche à effacer en vue de le liquider.
L’Union nationale des associations familiales (UNAF) commente ainsi : “Nous nous interrogeons aussi sur le principe même de ce transfert du congé maternité postnatal. Le financement par la CNAF du congé paternité par la branche famille ne justifie pas que le congé maternité le soit également, car ce dernier répond à des besoins majoritairement liés à la santé de la mère qui a accouché. D’ailleurs, nombre de femmes se voient prescrire par leur médecin des congés dit « pathologiques », après le congé maternité”.
Congé de maternité ou congé “d’accueil de l’enfant” ?
Rappelons aussi que nombre de femmes souhaitent un allongement du congé de maternité. Cela est confirmé par le fait que la durée moyenne de l’ensemble des congés pris à l’occasion d’une naissance est supérieure de cinq semaines à celle du congé de maternité [1].
Or, le gouvernement français s’oppose à cette demande. Ainsi, en 2010, l’Union Européenne proposait d’allonger ce congé à 18 semaines. Nadine Morano alors secrétaire d’État à la famille estimait que cette mesure aurait pour la France un coût de 1,3 milliard d’euros par an. Le patronat européen jugeait également que cette proposition coûtera cher “en particulier aux sociétés”.
Aujourd’hui, nombre de textes tendent à assimiler, voire à fusionner le congé de maternité et le congé parental (parfois rebaptisé “accueil de l’enfant”) et à nier les modifications spécifiques du corps des femmes liées à la gestation et à l’accouchement (et à un allaitement éventuel). Une directive du Parlement européen de 2019 propose par exemple :
“Étant donné que l’octroi du droit au congé de paternité et au congé de maternité poursuit un objectif similaire, à savoir créer un lien entre le parent et l’enfant, les États membres sont encouragés à prévoir une rémunération ou une allocation pour le congé de paternité qui soit égale à celle prévue pour le congé de maternité au niveau national”.
Et l’Union Européenne a déjà autorisé certains pays à fusionner congé maternité et congé parental. Ainsi, le Parlement espagnol a-t-il définitivement adopté le principe du remplacement des congés de maternité et de paternité par un congé de naissance [2]]].
S’il est certes souhaitable que le père s’occupe aussi du nourrisson, de l’enfant, cela ne doit pas se faire au détriment du congé de maternité. Or, affirmer que “l’objectif est similaire”, c’est nier la spécificité du congé maternité. C’est nier les modifications physiologiques du corps de la femme durant cette période, c’est mettre en cause le droit au repos, à l’allocation de maternité, comme un droit lié aux modifications du corps de la femme enceinte et qui a accouché.
Un droit mis en cause au nom de “l’égalité” hommes/femmes
On doit s’interroger sur les véritables motifs de cette “évolution”.
Aujourd’hui, tous les droits arrachés par les luttes ouvrières sont menacés. Et les régressions touchant les femmes salariées sont, de plus, importantes. La liste s’allonge régulièrement, le plus souvent au nom d’une “égalité” formelle qui nie d’une part les spécificités biologiques des femmes (spécificité ne signifient en rien infériorité des femmes par rapport aux hommes, mais différence), et d’autre part la réalité du marché de l’emploi dans la société capitaliste.
Au nom de “l’égalité” entre les hommes et les femmes, ou de la “participation équilibrée aux responsabilités familiales”, le gouvernement allonge le congé de paternité, il souhaite imposer l’égal partage d’un congé parental.
Dans le même temps, il se refuse à allonger le congé maternité, alors que cet allongement est réclamé par nombre de femmes salariées (elles ont initié une pétition, laquelle figure aujourd’hui sur le site de l’Assemblée [3]. Et qui peut croire qu’une mère peut allaiter son enfant en bénéficiant simplement “de 2×30 minutes par jour sur son lieu de travail si cela est possible” ?
La CGT dénonce les “nombreux drames de fausses couches au travail [qui] sont venus rappeler […] l’insuffisante protection des femmes enceintes » ; elle demande l’allongement du congé de maternité à 24 semaines, un congé de paternité et d’accueil de l’enfant de quatre mois dont deux obligatoires après la naissance et rémunéré à 100 %, la réduction du temps de travail (32 heures)…
Sur le marché du travail, la femme salariée subit des discriminations. Alors que c’est illégal, combien de femmes sont confrontées, lors d’un entretien d’embauche, à des questionnements plus ou moins insidieux sur leurs projets de maternité ? Et si les pensions de retraites allouées aux femmes sont souvent inférieures à celles des hommes, c’est parce qu’elles ont occupé des emplois mal rémunérés, parce que leur carrière a été interrompue par des congés liés à la maternité et à la prise en charge des enfants.
Seuls 0,8 % des pères prennent un congé parental à plein temps contre 14 % des mères, selon une étude réalisée par l’Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). Beaucoup de commentaires évoquent “l’effet du genre”, le “patriarcat”. Certes, mais les véritables causes restent dans l’ombre. Avec une indemnisation à 100 % du salaire (au lieu de l’aumône de 398,80€/mois) les revenus de la famille seraient maintenus. Or, le gouvernement s’y refuse.
Pire, les atteintes aux droits des femmes salariés s’empilent année après année. Quelques exemples : en 2001, levée de l’interdiction du travail de nuit des femmes (instaurée en 1892), au nom de l’égalité professionnelle entre hommes et femmes [4] ; les droits ouverts pour la retraite au titre des enfants ont été réduits par les réformes successives, amplifiant pour les femmes les effets de l’allongement de la durée d’activité exigée pour une retraite complète…
La mise en cause du congé de maternité par la loi de financement de la Sécu se double d’une nouvelle atteinte aux services publics : insuffisance du nombre de places en crèches publiques, salaires de misère et dégradation des conditions de travail des personnels, diminution du taux d’encadrement par des professionnels, financement à tombeau ouvert des crèches et garderies privées par la CNAF et par des fonds publics…
La CNAF annonce que 417 000 places en crèche ont fermé faute de personnel. Et dans le même temps le gouvernement organise la suppression de l’accueil en “toute petite section” de maternelle des enfants de deux à trois ans : les enfants des TPS ne sont plus comptabilisés dans les effectifs !
Et que penser des annonces de Macron d’un service public de la petite enfance, alors que les 2 Mds, ponctionnés sur la CNAF interdiront le financement par la branche famille de 250 000 places en crèche ?
En défense des droits des femmes salariées
On doit malheureusement constater que ni les directions syndicales, ni les associations “féministes” qui font de la lutte contre le “patriarcat” leur priorité, y compris celles qui se qualifient de “révolutionnaires”, n’ont véritablement réagi face à l’attaque du congé maternité incluse dans la LFSS.
Certes, les syndicats ont critiqué l’insuffisance du montant alloué au financement de la santé, de l’hôpital public. Suite à des discussions internes, la FSU se contente d’une note indiquant que le passage “du congé maternité post-natal de la CNAM à la CNAF traduit un changement en matière de droit et de prestation maternité, car elle fragilise le droit de Sécurité sociale au congé maternité” [5]. Mais aucune information n’est faite auprès des syndiqués et des personnels. Aucun syndicat n’a engagé la moindre mobilisation contre le PLFSS inscrit au bureau du Parlement à l’automne 2022, alors que cette loi impose de nouvelles et importantes attaques du système public de santé.
Militer pour de “nouveaux droits” implique d’abord de défendre becs et ongles les droits arrachés par les luttes, de mettre en avant des revendications concrètes (comme le renforcement dans le Code du travail de la protection de la maternité, des femmes enceintes et qui ont accouché : allongement du congé de maternité, protection contre le licenciement après l’accouchement et contre toute discrimination professionnelle…). C’est d’autant plus important que l’offensive de Macron vise à liquider tous les droits collectifs qui protègent les salariés et limitent l’exploitation et notamment celle des femmes.
Hélène Bertrand
Article paru dans le n°9 de la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique de mai 2023
- à lire :Congé de maternité : une conquête du mouvement ouvrier