RENTRÉE BLANQUER : "Grenelle de l’Éducation : une grenade dégoupillée"

Rentrée 2021 : effectifs trop chargés, réduction de moyens, de postes... une rentrée en parfaite cohérence avec les mesures Macron contre l’école et contre les personnels depuis 2017, mesures auxquelles s’ajoutent ses annonces annonces du 12 juillet. Formalisées dans la loi du 5 août, elles constituent une nouvelle attaque contre les libertés démocratiques et tendent à instaurer une société de surveillance généralisée, non seulement par la police mais aussi par les agents des services publics, et les responsables d’établissements privés.

Blanquer met en œuvre ses décisions suite au Grenelle. Ses dernières annonces ne répondent en rien aux revendications des personnels (mesures salariales de saupoudrage, refus d’augmenter le point d’indice bloqué depuis 2000 : les fonctionnaires ont ainsi perdu 20% de leur pouvoir d’achat). Avec surtout des "contreparties" qui s’en prennent au fonctionnement de l’École et aux statuts des personnels.

Ci-dessous l’article qui parait dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique [1]

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GRENELLE DE L’ÉDUCATION : UNE GRENADE DÉGOUPILLÉE

Le 26 mai, le ministre Blanquer a rendu ses "conclusions" du Grenelle de l’éducation : une dotation de 400 millions d’euros en 2022 a été annoncée, ainsi que 12 engagements qui constituent "une étape majeure pour la transformation de notre système éducatif,"  [2] selon le ministère.

Voici quelques-unes de ces annonces issues du Grenelle dont certaines entrent en application dès la rentrée. Il s’agit d’aller beaucoup plus loin dans la destruction du cadre national de l’école et des acquis statutaires des personnels.

VERS L’AUTONOMIE PLEINE ET ENTIÈRE DES ÉTABLISSEMENTS

Renforcement des pouvoirs hiérarchiques des chefs d’établissements

Le 2 juillet, lors du groupe de travail du Grenelle "Direction d’école", Blanquer a annoncé la création d’un emploi fonctionnel pour les directions d’écoles de 13 classes et plus : il donnera aux directeurs ⋅et directrices une autorité décisionnelle et fonctionnelle, début d’un pouvoir hiérarchique.

Les pouvoirs des chefs d’établissements ne cessent d’être renforcés. Ainsi, par exemple, le chef d’établissement est désormais le supérieur hiérarchique direct du ou des chefs d’établissement adjoints.

Et avec la loi sur l’obligation vaccinale et le pass sanitaire généralisé, le gouvernement implique les directeurs d’écoles, principaux et proviseurs dans les campagnes de vaccination prévues "dans les établissements scolaire". Ils recevront, chaque semaine, "les indicateurs en matière de contamination et de vaccination qui sont relatifs à la zone géographique dans laquelle leur établissement est situé"  [3] . Et Blanquer d’annoncer que s’il y a un cas de Covid dans une classe de lycée ou de collège, les élèves non vaccinés "seront évincés" et soumis à "un enseignement à distance". Les chefs d’établissements auront-il accès au statut virologique des élèves, afin de veiller à l’exclusion des cours des élèves non vaccinés ? Belle façon d’imposer, tout en s’en défendant, le pass sanitaire à l’école. Cette mesure liberticide et discriminatoire est inacceptable. [4] Elle ouvre la voie à d’autres mesures du même type.
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Le projet d’établissement, vecteur de l’autonomie

Blanquer annonce "plus d’autonomie aux équipes des collèges et lycées pour développer leurs projets", avec l’objectif que le projet d’école ou d’établissement supplante les objectifs nationaux ("un collectif pédagogique uni autour d’objectifs partagés").

Une première application est publiée au J.O. avec l’arrêté du 28 juillet sur le bac qui met en place un vrai contrôle continu à hauteur de 40% de la note finale et une "autonomie renforcée".

Cette autonomie s’appuiera sur un "projet d’évaluation" qui devrait être élaboré dans chaque établissement (sous le contrôle des IPR), dès la rentrée. Il sera validé en conseil pédagogique et présenté au conseil d’administration. Pourront ainsi être définis :"les types d’évaluations avec leurs objectifs propres (modalités, critères, compétences), les temps d’évaluation (partie diagnostic et partie formative), le cade de l’évaluation sommative, le temps d’évaluation organisée à l’échelle de l’établissement". À cela s’ajouteraient le "partage de pratiques", un cadrage des évaluations dans le conseil d’enseignement (un nombre de notes imposé à tous les enseignants par discipline et peut être aussi une harmonisation forcée des progressions).

Avec ce projet d’évaluation, c’est la liquidation de toute liberté pédagogique pour l’enseignant. C’est ce qu’avait annoncé Mathiot en disant que la réforme du lycée commençait par la réforme du bac (et donc de l’évaluation).

La fin de toute valeur nationale du bac induit effectivement le bouleversement de tout le système d’enseignement, la soumission du personnel enseignant au projet local d’évaluation, au projet d’établissement, lesquels dépendront fortement des conditions et des pouvoirs locaux.

Pour surmonter les résistances des personnels, différents instruments sont prévus :

Encadrement, pilotage des établissements, et hiérarchies intermédiaires :

Dans le groupe de travail "Charte des pratiques de pilotage", de nouvelles mesures d’encadrement et de gestion de proximité des personnels ont été annoncées lors des réunions de l’agenda social de juin-juillet. La création de multiples coordinateurs et coordinatrices autour des chefs d’établissements (professeurs référents notamment pour le "suivi des élèves" ou pour "l’harmonisation du contrôle continu"). Il s’agit là de briser l’unité des salles de professeurs et de renforcer le pouvoir des chefs d’établissement.

Un décret du 20 juillet crée "Le professeur référent de groupe d’élèves" en première et terminale. Il assurera "un suivi individualisé renforcé des élèves dont il a la charge", participera au conseil de classe et percevra une indemnité de suivi et d’orientation. La multiplication des référents dans les lycées, donne ainsi au chef d’établissement des moyens pour piloter les enseignants et récompenser "le mérite".

Gestion des ressources humaines de proximité et accompagnement : des contrôles permanents

Dans les établissements du second degré, Blanquer veut mettre en place des "postes de professeurs en service partagé" qui auraient des missions "d’aide à l’inspection des enseignants" (CMI2D), ce qui implique des modifications statutaires. Dans le 1er degré, il veut augmenter le nombre de "conseillers pédagogiques de circonscription" (CPC). Les CMI2D et les CPC effectueraient des missions d’"accompagnement", un outil de pilotage pédagogique, de mise au pas des enseignants et ils participeraient à l’évaluation des établissements aux côtés des inspecteurs. Au-delà, la publication des feuilles de route "ressources humaines" (RH) par les rectorats augure d’une pression plus grande sur les personnels (y compris vers la sortie ?).

Avec le développement de cette "gestion des ressources humaines" (GRH) de proximité, la présence et le poids de l’encadrement seraient renforcés. Dans le contexte de quasi-disparition des CAP, on s’achemine vers un alignement sur le fonctionnement du privé : la modification du concours (incluant un véritable entretien d’embauche en guise d’oral), l’extension du recrutement sur contrat, la mise en place du conseil d’évaluation de l’école (chargé d’évaluer les écoles et établissements) participent des mêmes objectifs. Ce système d’évaluation des établissements va induire des financements différenciés selon les contrats d’établissements et selon les résultats. La concurrence entre les établissements en sera généralisée.

Les "engagements" de Blanquer programment ainsi l’explosion du cadre national de l’Enseignement Public.

VERS LA DISLOCATION DU STATUT

"Enseignement hybride", recours à l’e.learning

Le 22 juillet, devant la "mission d’information" de l’Assemblée qui travaille sur "le cadre juridique et statutaire de l’enseignement hybride ou à distance", Vincent Soetemont, DRH du ministère a indiqué que "le cadre juridique et statutaire des enseignants n’est pas incompatible avec l’enseignement à distance" . Ainsi, certaines heures, comme l’enseignement des disciplines rares, pourront aussi être faites à distance. Le protocole sur le télétravail dans la Fonction publique (signé le 13 juillet) stipule qu’en cas de "circonstances exceptionnelles", l’employeur pourra imposer le télé-enseignement : il va être "adapté" à l’enseignement. Cela impliquera de nouvelles obligations pour les enseignants et l’augmentation de la charge de travail. Et le directeur de la DEGESCO attend des écoles et établissements l’élaboration, dès la rentrée, de plans de continuité pédagogique, avec un enseignement hybride en cas de demi-jauge ou de fermeture.

Le protocole de rentrée [5] prévoit quatre niveaux en fonction de l’évolution de la situation sanitaire. Au niveau orange "lorsque la configuration de l’établissement le nécessite", l’hybridation s’imposera au lycée. Au niveau rouge l’hybridation sera systématique au lycée et pour les élèves de 4e et 3e "avec une limitation à hauteur de 50% des effectifs".

Remplacements, formations obligatoires, flexibilité, mentorat…

Au nom de la "continuité pédagogique" et sous couvert de "coopération" ou "d’esprit d’équipe", Blanquer remet à l’ordre du jour les objectifs du décret G. de Robien sur le remplacement. Des AED payés en heures supplémentaires pourront assurer des remplacements de courte durée, ou encadrer des élèves en cas d’hybridation.

Les engagements ministériels sur le remplacement ou la formation continue (de surcroit en fonction d’objectifs locaux) préparent de nouvelles obligations pour les personnels. La volonté d’imposer des pratiques pédagogiques, l’encadrement des personnels enseignants dans le contrôle continu sont autant de mises en cause de la liberté pédagogique. Blanquer entend aujourd’hui s’attaquer au cœur du statut et disloquer les garanties collectives nationales.

"Personnalisation" des carrières : faire exploser les acquis statutaires !

Blanquer veut "personnaliser le parcours de chacun"
. Cette "personnalisation" va à l’encontre des règles statutaires de l’avancement et conduit à une remise en question de l’avancement à l’ancienneté, prélude à un avancement exclusivement au "mérite". Cela va dans le sens des annonces du ministère de la "Transformation de la Fonction publique" qui considère qu’on "ne peut plus augmenter tout le monde par le point d’indice". Parce que "c’est cher : c’est tout de suite 2 milliards d’euros".

De fait l’enveloppe de 400 millions d’euros annoncée est dérisoire, rapportée au million de personnels de l’Éducation nationale. Et, alors que le blocage du point d’indice est maintenu, la participation des organisations syndicales à l’Agenda social a cautionné le développement de primes et d’indemnités à géométrie variable, l’individualisation des rémunérations et de nouvelles attaques contre les statuts et les obligations de service.

Le 6 juillet, la ministre A. de Montchalin annonce qu’elle lance, dans le cadre de l’agenda social, une conférence pour "repenser le système de rémunération et de carrière" dans la Fonction publique. Il s’agit, dit-elle, d’assumer "une rupture avec la politique de revalorisation générale du point d’indice". En finir avec le point d’indice qui unifie les personnels : tel est l’objectif.

Blanquer annonce aussi une "dés-anonymisation du sort de chacun" lors des "mutations". Il veut étendre le recrutement sur "profil" : un moyen pour aller vers la fin du barème, voire le recrutement local par les chefs d’établissement.

La volonté ministérielle d’avancer vers des primes variables dans l’éducation prioritaire, en fonction des projets effectués, participe du même processus. Plus globalement, l’expérimentation de la contractualisation, dans le cadre des contrats locaux d’accompagnement, relève clairement de cette logique.

Toutes ces mesures conduisent à l’individualisation des carrières, à la dérèglementation des conditions de travail… à la mise en concurrence des personnels... Il s’agit de décliner, dans l’Enseignement public, la mise en œuvre de la loi de transformation de la fonction publique (LTFP) qui vise à liquider toutes les garanties statutaires, à aligner le statut des personnels sur le modèle anglo-saxon de la fonction publique d’emploi, voire vers la privatisation avec l’externalisation de pans entiers de la Fonction publique.

"L’engagement" de Blanquer est clair : suppressions de postes, précarisation, bénévolat (cf. l’accord avec le Collectif Mentorat). [6]

Rupture immédiate de tout dialogue social ! Pour la mobilisation !

Lors du Grenelle, une cinquantaine de réunions, et plusieurs dizaines de concertations se sont tenues avec les organisations syndicales dans le cadre de l’"agenda social". Une "nouvelle phase de dialogue social" s’en est suivie en juin-juillet. Dans les groupes de travail (GT), les "modalités de revalorisation" se sont articulées aux thèmes induisant des modifications statutaires. Tenues sur des objectifs se situant aux antipodes des revendications des personnels, elles ont conforté à chaque fois les plans destructeurs du gouvernement.

Le "Grand décryptage Éducation" publié en août 2021 par l’Institut Montaigne souligne "la cohérence" et "l’importante" de "la refondation" inscrites dans les mesures prises entre 2017 et 2021. Il loue la "rapide exécution" de ces réformes structurelles, dont celle du bac. Et il atteste de la volonté d’aller vers un système plus sélectif dès le collège, appuyé sur "l’acquisition des savoirs fondamentaux" et "de valeurs républicaines" (avec un SNU "complémentaire de l’instruction obligatoire") et des parcours d’élites pour une minorité. Cela confirme que ces mesures ne sont ni amendables ni négociable.

Or, dans le même temps, le gouvernement poursuit la mise en œuvre de la loi de transformation de la Fonction publique, loi qui, selon la FSU "fait voler en éclats une série de dispositions statutaires qui organisaient notamment des garanties collectives". C’est par référence à l’ordonnance du 17 février 2021 prise en application de cette loi, que se sont engagées des négociations sur le télétravail. L’accord signé par toutes les directions syndicales donne carte blanche au gouvernement pour développer le télétravail comme un mode d’organisation parmi d’autres (donc à égalité avec les autres). Cela aura des implications dans l’enseignement.

Plus encore, cette signature au lendemain de l’allocution de Macron du 12 juillet (consacrée aux nouvelles mesures autoritaires), a apporté la caution des syndicats à la poursuite de l’état d’exception instauré depuis mars 2020, aux nouvelles mesures annoncées par Macon.

Ce ralliement à une véritable politique d’union nationale au nom de la "guerre contre le virus" permet à Macron et Blanquer de poursuivre les attaques contre les acquis sociaux et les libertés démocratiques. Ce qui est à l’ordre du jour dans l’Enseignement public, c’est la dislocation du cadre national de l’école, la redéfinition des obligations de services, et d’importantes modifications statutaires dans le sens de l’explosion des droits nationaux.

La défense de l’Enseignement public exige de combattre le Grenelle de l’éducation et les mesures qui s’articulent aujourd’hui à la loi du 5 août relative à la gestion de la crise sanitaire. Cela implique de tout entreprendre pour la rupture immédiate de tout dialogue social avec le gouvernement. Sur ces bases, il sera possible d’informer et d’ouvrir la voie à la mobilisation unie contre la politique de Macron et Blanquer et au-delà pour la satisfaction des multiples revendications des personnels, à commencer par l’augmentation des salaires par déblocage et hausse du point d’indice et rattrapage du pouvoir d’achat.

10 août 2021, H. B. (GD Lyon/69)

Sur le site national : https://www.emancipation.fr/