La gestation pour autrui, une entreprise généreuse ?

Les découvertes scientifiques ont permis et permettent encore une amélioration des conditions de vie (pour ceux qui peuvent en bénéficier). Toutefois dans le cadre du capitalisme, toute découverte n’est intéressante que si elle peut avoir une forme marchande. Ainsi, si la procréation médicale assistée (PMA) a permis des avancées considérables en termes de lutte contre l’infertilité, le revers en est la marchandisation de ces pratiques, et donc l’ouverture de nouveaux marchés, tels la donation rémunérée d’ovocyte et la gestation pour autrui (GPA), rémunérée ou non.

Au nom de la famille, de la transmission de son capital, une partie de la bourgeoisie française est favorable à la GPA. L’accumulation de capital, matériel, et sa transmission (sans éparpillement) est l’une des bases sur laquelle repose la société capitaliste. Lorsqu’un bourgeois ne pouvait avoir de descendance, son héritage allait à l’enfant adopté et éduqué à bon escient, ou à la famille proche. Avec les évolutions scientifiques, et notamment en génétique, la notion de “capital génétique” a pris son essor : le bon bourgeois souhaite de façon presque impérative transmettre non seulement ses biens matériels, mais également ses allèles. Ce souhait de transmission de son “patrimoine génétique” ne prend en rien la place économique de la transmission du capital. Il en est une projection psychique, qui peut prendre corps grâce aux progrès scientifiques. L’espoir ? Que des héritiers ayant les mêmes gènes gèrent mieux le capital familial ? On pourrait en rire, si cela ne passait pas par une nouvelle forme d’exploitation du corps des femmes.

“Liberté, égalité, générosité”

La devise des pro-GPA est d’une simplicité républicaine.

Côté liberté : pour Élisabeth Badinter, Najat Vallaud-Belkacem, Aurélie Filipetti, Bruno Julliard, “Au XXIè siècle, la fondation d’une famille est l’expression d’une volonté, c’est à dire de la conjonction d’une liberté individuelle et d’un projet partagé. La venue au monde d’un enfant résulte de cette liberté et de ce projet. Encadrer la gestation pour autrui, c’est reconnaître que cette liberté et ce projet ne s’arrêtent pas aux frontières biologiques” (Le Monde, 13/12/2010). Au nom de la liberté de fonder une famille, il faudrait légaliser la GPA.

En outre, comme toute femme, chaque mère porteuse “serait libre de disposer de son corps”.

Côté égalité : “Pour les couples infertiles, la loi française entraîne une inégalité de soins puisqu’une forme d’infertilité n’est pas soignée (l’infertilité utérine)” (CLARA, audition du 22 mars 2011 au Sénat). Pour la ministre du droit des femmes, Najat Vallaud- Belkacem, la GPA peut être un “instrument supplémentaire au service de la lutte contre l’infertilité” (Terra nova, le 16/01/2010). Au nom de l’égalité entre les femmes (face à la procréation), il faudrait légaliser la GPA.

Côté générosité, Vallaud-Belkacem poursuit : les anti-GPA “ignorent par-dessus tout la part d’humanité et de liberté éminente qu’il y a incontestablement dans cet acte de générosité. [...] Celles qui témoignent avancent des motifs altruistes [...]. Badinter et Théry prennent la relève : “les gestatrices, leurs maris et leurs enfants partagent avec le couple des futurs parents une aventure humaine non seulement respectueuse des droits, mais créatrice de relations intenses” (Le Monde, 19/12/2012).

Côté mère : “Ce n’est pas le fait de porter un enfant qui fait d’une femme la mère de cet enfant, mais le fait de le vouloir, de s’engager à l’élever et de s’y préparer” (Badinter et Cie, Le Monde, 13/12/2010).

Au nom de la générosité, de l’épanouissement de la femme, de l’altruisme, du don de soi, de la diversité des femmes dans leur relation à l’enfant, il faudrait légaliser la GPA.


Procréation Médicale Assistée, pour qui  ? Pour quoi  ?

Ce mode de procréation est défini dans le code de la santé : “L’assistance médicale à la procréation s’entend des pratiques cliniques et biologiques permettant la conception in vitro, la conservation des gamètes, des tissus germinaux et des embryons, le transfert d’embryons et l’insémination artificielle”.

Cette aide à la procréation se décline de deux grandes façons. La première méthode consiste en une introduction artificielle de sperme dans la cavité utérine de la femme (après sélection, par exemple, des spermatozoïdes normaux). La fécondation a donc lieu in vivo. Dans cette technique, l’insémination artificielle (IA), le sperme provient du conjoint (IAC) ou d’un donneur anonyme (IAD). Dans la deuxième méthode, après ponction de follicule d’une femme et recueil du sperme d’un homme, la fécondation a lieu in vitro. L’embryon formé à partir de l’ovocyte fécondé est déposé dans la cavité utérine de la femme 6 à 7 jours après la fécondation.

Les procédés utilisés doivent respecter “des principes fondamentaux de la bioéthique” (définis dans le Code civil). En outre, la loi précise les conditions d’application de la PMA : “L’assistance médicale à la procréation a pour objet de remédier à l’infertilité d’un couple ou d’éviter la transmission à l’enfant ou à un membre du couple d’une maladie d’une particulière gravité” (Article L2141-2). Ainsi, ces deux formes de PMA sont interdites aux femmes célibataires ou homosexuelles. Elles sont réservées aux femmes hétérosexuelles mariées, pacsées ou vivant en concubinage, dont le couple souffre de stérilité ou de risque de transmission de maladies graves. [ndlr : l’article a été écrit en 2013, la loi a été modifiée en 2021]

Une autre interdiction concerne la gestation pour autrui (GPA) : la femme porte un enfant qui sera élevé par d’autres personnes et cet enfant a été conçu par une des techniques de PMA (insémination artificielle ou fécondation in vitro). Cet acte illégal (article 16-7 du Code civil), même non rémunéré, est passible d’un minimum de 15 000 euros d’amende et d’un an d’emprisonnement (Code pénal, article 227-12).


Liberté, générosité... en système capitaliste  ?

Alors, pourquoi interdire la GPA ?

Cette réponse ne peut avoir lieu en dehors du quotidien dans lequel nous vivons, dans une société capitaliste : “On peut toujours rêver d’un monde idyllique basé sur le don, le partage, mais en réalité nous connaissons la situation des femmes dans notre monde et notre pays  : 80 % des pauvres sont des femmes. On ne peut mettre en avant ce constat et l’occulter quand il s’agit de la GPA. Ce sont les femmes les plus pauvres qui rapidement se retrouveraient au cœur du dispositif, alors on nous parlera encore de leur choix. La question du choix est toujours du côté des femmes, comme si la misère et la précarité leur permettaient de faire un choix” (Sabine Selmon, présidente de Femmes Solidaires).

De même, Axel Kahn, généticien, donne une réponse qui part du réel : “dans 98,5 % des cas, à des niveaux variables, la gestation pour autrui s’inscrit dans un contrat de type commercial et ne peut guère répondre à la demande que dans ce cadre. C’est par rapport à cette réalité qu’il faut se positionner”. Il fait le lien avec le droit romain en France : “la loi française est fidèle au droit romain selon lequel la femme qui accouche d’un enfant est sa mère, et à l’inverse, la mère d’un enfant est la femme qui en accouche. Il est essentiel de ne pas remettre en question cette loi, pour une raison évidente de protection de la femme contre cette aliénation de son corps à laquelle pourrait la pousser une situation de contrainte économique dans laquelle elle se trouverait”.

La liberté, sans égalité réelle, peut dans nombre de domaines rester lettre morte : où est la liberté d’une femme de disposer de son corps quand elle est incapable de subvenir à ses besoins élémentaires ? Ainsi envisager une GPA libre et généreuse car encadrée par la loi revient à accepter l’exploitation du corps des femmes ou à nier les réalités économiques et sociales : des pauvres, il y en a aussi en France (!). Les dites féministes qui réclament la GPA ne défendent en rien le droit des femmes laborieuses.

GPA altruiste défendue par certains, GPA rémunérée pour d’autres. Le cynisme est parfois au rendez-vous : “Moi je suis pour toutes les libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour travailler à l’usine, quelle différence ?” (Pierre Bergé, Le Figaro, le 16/12/2012).

Faut-il rappeler que dans la société capitaliste, le travailleur est libre à tout moment de rompre son contrat de travail (des dispositifs limitent parfois cette liberté, comme c’était le cas avec le livret ouvrier) ? Faut-il rappeler que 9 mois de grossesse, c’est plus de 12 mois de modifications physiologiques et psychologiques pour la femme, plusieurs mois de développement psychologique du fœtus en lien avec la mère (si les recherches concernant les relations mère-fœtus laissent encore beaucoup de zones floues, certains liens ont été établis, comme la mémorisation par le fœtus de caractéristiques de son environnement auditif, telle la voix de la mère - source : Parole et musique de Dehaene et Petit).

Certes, porter un enfant ne fait pas tout, mais le reléguer à un acte comme un autre consiste à marchandiser un corps. Mais, pire que de la marchandisation, la GPA en système capitaliste s’apparente à de l’esclavage moderne. En effet, comment une femme enceinte pourrait-elle rompre, tel un travailleur, son contrat l’engageant à porter l’enfant d’autrui ? Pour certains il suffirait de garde-fous. Si pour Axel Kahn, des garde-fous sont “globalement impensables”, le “garde-fou absolu” serait que la mère porteuse puisse garder l’enfant si elle le souhaite. Mais un tel raisonnement ne prend pas en compte la réalité, et toutes les pressions supplémentaires qui s’exerceraient sur la femme, si elle arrive à faire respecter son droit (femme étrangère vivant en France...).

Au nom de l’égalité

Au nom de l’égalité entre hommes et femmes, entre femmes stériles et femmes fertiles, entre enfants nés de GPA et non nés de GPA, il faudrait légaliser la GPA. C’est au nom de ces soi-disant égalités que les pro-GPA avancent, petit à petit. Ainsi, c’est au nom de l’égalité entre enfants nés de GPA et non nés de GPA que Taubira a permis que dorénavant un soupçon de GPA “ne peut suffire à opposer un refus aux demandes de CNF [Certificats de Nationalité Française]” (circulaire du 25 janvier 2013). Bientôt, sous prétexte que les fœtus en GPA ont un moins bon suivi médical à l’étranger qu’en France, faudra-t-il accepter la GPA en France ?

Rappelons quelques éléments de biologie : “le fait que les hommes ne puissent pas avoir d’enfant ne relève pas d’une discrimination mais d’une différence de nature avec les femmes” (Axel Kahn). Le Planning familial précise : “nous ne devons pas accepter le commerce du corps humain et une nouvelle forme d’esclavage des femmes au nom d’une solidarité avec les femmes stériles, pas plus qu’avec les couples homosexuels”.

Concernant l’égalité entre les enfants : certes, les enfants ne sont pas responsables des actes de leurs parents. Mais comme pour la solidarité avec les femmes stériles ou les hommes homosexuels, comment accepter l’exploitation d’un corps (même hors du territoire français) au nom d’une meilleure “égalité” entre enfants ? Comme l’indique la pétition du Collectif national pour le droit des femmes, toute “forme de reconnaissance implicite ou explicite de la GPA, dont celle pratiquée en dehors de notre territoire, concrétisation de l’exploitation des femmes les plus pauvres par les classes les plus favorisées” doit être refusée. Ainsi en est-il pour la circulaire Taubira.

Si la PMA doit être une possibilité pour toutes les femmes, l’adoption doit être accessible à toutes et à tous, aux homosexuel-le-s, aux hétérosexuel-le-s. Ce sans aucune condition de couple. La GPA doit être interdite en France comme à l’étranger, et des mesures dissuasives doivent être prises en ce sens, afin de protéger le corps des femmes françaises mais également des femmes sur tous les continents. Enfin, ce débat sur la GPA ne doit pas occulter le combat contre les régressions en cours : insuffisance de crèches publiques, fermetures des centres d’IVG, augmentation de la précarité, notamment des femmes...

Laure Jinquot

Article paru dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique d’avril 2013