L’inclusion dans l’école du tri
Dans cet article je tente de mettre en exergue certains aspects cachés de l’inclusion qui amènent à la questionner. Des aspects qui relativisent les bonnes intentions du gouvernement vis à vis du handicap à l’école en particulier. Ce n’est qu’en septembre 2024, dans son discours de rentrée, que L’ex-ministre N. Belloubet a cassé une omerta en remettant en cause la scolarisation en école ordinaire de 24 000 élèves dénonçant ainsi le manque de place en établissements spécialisés. C’est aussi en 2024, qu’enseignants, enseignantes, syndicats et familiers d’élèves handicapé·es franchissent le mur médiatique pour réclamer la création de postes et le maintien des établissements spécialisés. Attachons-nous aux faits.
Septembre 2024, généralisation de l’intégration dans les écoles
Elle doit se généraliser grâce au décret paru au Journal officiel du 6 juillet 2024 [1]en application de la loi “pour une école de la confiance” [2] de juillet 2019. Ce décret transforme en “dispositifs intégrés”, toutes les “structures d’accueil handicap”, c’est à dire tous les établissements et services pour les enfants et jeunes adultes. Cela entraîne une inclusion partielle ou totale dans les établissements scolaires normaux.

Le but avoué du gouvernement est, pour 2027, l’intégration à 80 % de tous les élèves à besoins particuliers, avec l’aide du dispositif d’intégration thérapeutique éducatif et pédagogique, DITEP mis en place depuis 2017. Depuis lors, les Instituts Thérapeutiques Éducatifs et Pédagogiques (ITEP) et les SESSAD (Service d’Aide à Domicile) se transforment en DITEP quand ils sont intégrés. Mais désormais, le décret de juillet 2024, va au-delà qui étend ce dispositif à tous les autres établissements et services accueillant des enfants handicapés, mentaux ou physiques. Ainsi, en plus des 465 ITEP et 1 580 SESSAD déjà concernés, doivent l’être désormais les 1 025 Instituts Médico Éducatifs (IME), les 145 Instituts d’Éducation Motrice (IEM), les 179 établissements pour enfants et adolescents polyhandicapés et les 77 établissements expérimentaux.
La remise en cause du caractère collectif de l’enseignement
Quand la loi sur l’inclusion de 2005 est promulguée, l’enseignement sur le mode collectif est la norme, et le paradigme de l’école d’émanciper par l’acquisition des savoirs, encore reconnu. Fondé sur les stades de développement psychologiques de l’enfant, le fonctionnement de l’école se base alors sur des classes constituées en fonction de l’âge, les classes d’âge. Ce qui permet de limiter l’hétérogénéité dans les classes, pour faciliter l’enseignement à l’enseignant·e et l’apprentissage à l’élève, ce qui n’a jamais empêché les différences de niveaux mais en a limité l’amplitude. Précisons que le caractère collectif de l’enseignement, ni discutable, ni discuté auparavant, n’a jamais signifié que le/la professeur·e ne s’occupe pas de chacun·e de ses élèves en particulier.
Or, c’est un fait, avec les effectifs actuels dans les classes, l’objectif d’acquisition des savoirs par tou·tes ses élèves, est impossible quand les niveaux sont multipliés à l’envie. Bingo, l’objectif d’acquisition des savoirs est opportunément remplacé par celui de tri et d’orientation des élèves. Ainsi, le caractère individualisé de l’enseignement monte en puissance, en même temps que se généralisent les mesures de l’inclusion. Exit l’enseignement collectif, place à l’individualisation de l’enseignement qui ouvre la voie aux classes multi-niveaux. Exit aussi les bases du collectif, que sont les stades de développement de l’enfant, relégués aux oubliettes de l’Éducation nationale. Ils font place, en 2018 aux neurosciences qui les remplacent avec l’aide de la création d’un Conseil Scientifique Spécifique dont les 16 membres sont nommés par le gouvernement. Imposées dans l’EN par Blanquer, les neurosciences sont axées sur l’étude et le fonctionnement du cerveau. Et bien qu’encore jugées expérimentales, le gouvernement a néanmoins décidé de faire de l’Éducation nationale son incroyable base d’expérimentation, comme pour l’IA et le numérique éducatif, sans crainte de mettre en danger des générations d’élèves. Ainsi va le Macronisme.
L’enseignement individualisé, le nœud de l’inclusion
C’est en 2012, sous Hollande, que le ministre Peillon modifie le Code de l’éducation qui instaure le nouveau principe individualisé de l’enseignement. Ainsi, dans le code rénové, “la maternelle doit être adaptée pour permettre la scolarisation des enfants handicapés”. Et, “pour tous les autres niveaux, est imposé le recours à des PPRE (projet personnalisé de réussite éducative)”. De nouvelles missions qui alourdissent le travail des enseignant·es.
Ce nouveau code avec cette obligation d’individualisation faite aux enseignant·es, ouvre la voie au tout inclusif et en catimini aux nouvelles tâches et missions attenantes. De plus l’individualisation est boostée par nombre d’autres mesures jusque-là freinées par le caractère collectif de l’enseignement. Entre autres mesures, il y a celle de l’expérimentation pédagogique, emblématique de la nouvelle école-centre-de-tri-des-élèves. Le gouvernement s’en est emparé qui, sous couvert d’expérimentation, a fait passer nombre de ses contre-réformes depuis qu’il est au pouvoir. Certaines prennent alors tout leur sens tels que la disparition des redoublements, les cycles, les groupes de niveau en collège et les spécialités en lycée. La casse du groupe classe basée sur les niveaux d’âges se généralise entraînant automatiquement la multiplication des niveaux, qui permet d’économiser autant de postes et de moyens que le gouvernement le décidera puisque tous les mélanges deviennent possibles. Et l’inclusion y joue un rôle très important avec ses besoins particuliers de tous types.
Une réforme macronienne pour faire des milliards d’économies
Un·e élève à besoins particuliers dans un établissement spécialisé (IME, ITEP, IEM, établissements pour polyhandicapés …) coûte entre 20 000 et 80 000€ selon l’aide fournie, par an, à l’Assurance maladie, donc à la Sécurité Sociale. Un coût qui couvre tous les besoins de l’enfant-élève pris en charge par l’établissement. Alors que dans une école ordinaire, un élève coûte entre 6 000 et 10 000€ par an à l’État.
En comparaison, une AESH revient à 18 000€/an à l’État. De plus avec la nouvelle réforme des PAS, elle doit s’occuper de plusieurs enfants à la fois. Il est clair que les économies budgétaires à la clé de cette réforme sont une réalité. Et la bien-pensance ici a plutôt la saveur de la politique du moindre coût pour le handicap et les besoins particuliers.
Le nouveau dispositif mis en place pour l’intégration spécifique des autistes, le DAR, devrait coûter 140 000€ par an. C’est le coût de la scolarisation de deux élèves handicapés dans un établissement spécialisé. Alors qu’il en gérera beaucoup plus là où il sera instauré.
Avec le décret de juillet 2024, qui impulse l’intégration des élèves jusqu’à 80 % du temps scolaire, le gouvernement espère poursuivre la fermeture d’une majorité d’établissements spécialisés qui fonctionneront en tant que DITEP dans les écoles ordinaires. Déjà entre 2018 et 2022, d’après les rapports de la DREES et de la Cour des Comptes, les fermetures s’élevaient à 8 % pour les SESSAD, 6 % pour les ITEP et les IME, 5 % pour les établissements pour polyhandicapés et 66 % pour les 77 établissements expérimentaux. Et cela continue. Entre 2022 et 2024, 300 IME en plus ont fermé et il y a eu 24 % d’élèves en moins accueillis dans les ITEP. Des économies d’échelle, dont pourtant on ne connaît pas le montant et que le Ministère ne communique pas, mais qui pourrait s’élever à plusieurs milliards d’euros à terme.
L’inclusion aussi au service des entreprises
C’est une autre dimension de l’inclusion. Après que la loi 2005 sur le handicap a été promulguée, le Ministère de l’EN s’est intéressée en premier lieu à une caractéristique pourtant non classée handicap, celle du haut potentiel intellectuel (HPI). Opportunément et largement relayé dans les écoles par les inspections, le HPI créa le buzz dans les salles des maîtres pendant quelques années. Il n’est pas négligeable de savoir que les HPI sont très convoités par certains secteurs économiques tel que la Silicon Valley qui ne cache pas son intérêt. Les grandes entreprises françaises les recherchent aussi, et agences et associations se multiplient ouvrant ainsi un nouveau marché. Des dizaines d’établissements scolaires privés spécialisés pour HPI, alors que ferment les IME et les ITEP, se sont créés et vont se créer, homologués et subventionnés par le Ministère.
L’EN s’est ensuite beaucoup focalisée sur l’autisme. L’Asperger particulièrement, mais les autres aussi qui peuvent également receler des HPI. Élizabeth Borne [3]a confirmé le 20 janvier 2024 que 400 nouvelles unités spécifiques d’enseignement pour autistes, devraient être implantées dans les écoles ordinaires, principalement dans les maternelles (UEMA de 7 élèves), et quelques dizaines en élémentaires (UEEA de 10 élèves).
Nous pouvons nous réjouir du fait que le HPI et l’autisme bénéficient de moyens spécifiques dédiés. Mais le monde de la macronie, ne nous déçoit jamais qui confirme sa politique de mettre l’école au service de l’entreprise, même au travers de l’inclusion. Et s’il a fallu 20 ans au système éducatif pour ériger des structures pour HPI et autisme, force est de constater que tout reste à faire, et que les moyens ne sont pas là, pour les autres handicaps. Ils n’intéressent la macronie et les entreprises que pour fournir de la main d’œuvre obéissante pour laquelle une école au rabais est largement suffisante. Les chiffres sont là qui montrent que l’inclusion des autres formes de handicap semblent avoir pour premier objectif d’économiser sur le budget de la Sécu, et sur celui de l’État en second lieu.
Une maltraitance institutionnelle qui justifie les mobilisations
L’inclusion n’est pas un sujet simple. Mais la souffrance de tous les acteurs et actrices ne peut-être niée. À ce stade, beaucoup de familles, et beaucoup d’enseignant·es expriment désarroi et souffrance et manifestent pour que le gouvernement agisse mais aussi pour que les établissements médico-sociaux ne ferment pas. Si ceux-ci sont décriés, souvent à juste titre, c’est à cause de leurs moyens qui diminuent comme partout depuis des décennies. Cela arrange le gouvernement qui voudrait les fermer. Pourtant les revendications des personnels ont toujours été pour augmenter les budgets seul moyen de stopper les dysfonctionnements décriés. Bravant la bien pensance qui consiste à défendre l’inclusion en soi, l’omerta médiatique commence à se fissurer [4]. Familles, enseignant·es et syndicats commencent à manifester et remettre en cause la politique du tout inclusif.
Des enseignant·es se mobilisent, d’autres craquent et se mettent en congé maladie faute de pouvoir gérer la trop grande souffrance occasionnée par les surcharges à la fois morale et de travail que cela implique. À Brétigny-sur-Orge (Essonne) [5], une déléguée du SNUipp, lors d’une manifestation a affirmé : “Nous sommes tous sous l’eau, l’inclusion oui mais pas sans moyens […] c’est de la maltraitance pour nous, les familles et les élèves”. Quant aux professionnel·les et parents d’élèves qui l’accompagnaient, iels déclaraient : “Nous assistons à une grave maltraitance institutionnelle…”, et réclamaient des moyens adaptés.
Mais le gouvernement et Élizabeth Borne ne remettent rien en cause, et la maltraitance qui va grandissant se poursuit. L’école du tri, l’orientation précoce, les exigences des entreprises et des milliards d’euros sont à la clé que le gouvernement Macron mènera à bien tant que la rue ne l’en empêchera pas.
Un nouveau gouvernement qui fait tout pour que la situation empire
É. Borne dans le journal La Croix (11/02/25) infléchit le discours tout inclusif en affirmant qu’il faut s’“assurer que chaque élève soit pris en charge dans un cadre adapté”. Elle précise, “Institut médico-social (IMS), dispositif ULIS ou classe ordinaire”. L’ambiguïté réside dans la non remise en cause du décret de juillet 2024. Le nombre d’enfants inclus est passé de 151 000 en 2005 à 490 000 en 2024, puis à 520 000 en 2025. É. Borne déclare vouloir appliquer l’Acte II de l’inclusion et donc renforcer les PAS, qui succèdent aux PIAL. Elle foule ainsi aux pieds les revendications des AESH et des enseignant·es, d’abrogation des deux mesures. Elle promet 500 PAS dès 2025, au lieu des 200 prévus, et 3 000 en 2027, quand la scolarisation des élèves inclus·e atteindrait les 80 %. Ils seraient 25 PAS par département, pour 60 000 établissements et 300 000 classes primaires et secondaires en France. Ils couvriraient tous les niveaux scolaires, de la maternelle à la terminale et proviendraient de la capitalisation des 4 000 postes non supprimés. On peut en conclure que s’ils vont être redirigés vers les PAS, ils seront (non ?) supprimés partout ailleurs.
Avec les PAS donc, la mutualisation des AESH se poursuivrait, et leurs conditions de travail n’iraientt pas en s’améliorant, ni celles des enseignant·es. Mais surtout, avec les PAS, l’EN se substituerait aux MDPH et CADPH pour attribuer et quantifier l’aide apportée aux élèves à besoins particuliers.
Avec l’acte II de l’inclusion, le scénario pourrait être le suivant : fin d’un premier et long processus pour le gouvernement ; l’EN, ferait main basse sur l’enfance handicapée, dans la perspective de diminuer les dépenses de Sécu. Pour cela externalisation du médical qui coûte cher avec un cabinet médical dans l’école, prise en charge par la médecine de proximité à la place de la médecine institutionnelle et transfert de la responsabilité et d’une partie du coût des soins aux familles. Mais bien sûr tout cela n’est qu’hypothèse.
Marie Contaux
Photo Émancipation
Article paru dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique, n° 7 de mars 2025
-> à lire aussi :
Retrait des Pôles d’appui à la scolarité (PAS)