Défense de la liberté et du droit à l’avortement : Discours et réalité

Alors que dans beaucoup de pays, on constate de nombreux freins et même des reculs concernant le droit à l’avortement, la procédure de constitutionnalisation de l’IVG en France, et le vote en congrès à une écrasante majorité ont donné lieu à nombre de manifestations de soulagement, voire même d’enthousiasme, de “victoire”, dans la majorité des organisations syndicales, politiques “de gauche” et féministes.

Toutefois, une critique importante a été formulée de nombreuses fois, à juste titre : le texte inscrit dans la constitution parle d’une “liberté” et non d’un “droit”. En effet, le “droit” doit être garanti ; il permet d’exiger de l’État tous les moyens nécessaires rendant l’accès effectif à l’avortement.

Mais ce n’est pas seulement la question du terme “liberté” (à la place de “droit”) qui pose problème, c’est toute la phrase : “La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours à une interruption volontaire de grossesse”.

En droit, comme dans toute expression cohérente, le vocabulaire, comme la syntaxe sont essentiels.

1975 : l’avortement est “décriminalisé”

L’avortement était criminalisé au moins depuis l’édit de 1556. Le Code pénal de Napoléon de 1810 le définissait comme un crime jugé aux assises et puni d’une peine de réclusion (les membres du corps médical ayant pratiqué un avortement étaient passibles des travaux forcés). Cette criminalisation a perduré jusqu’à la loi Veil en 1975.

La loi Veil a défini un cadre contraint dans lequel s’exerce la possibilité d’avorter. Il a fallu 50 ans de mobilisations pour que ce cadre soit progressivement assoupli sans être pour autant supprimé (exemple : la loi fixe à 12 semaines de grossesse la possibilité d’avorter).

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On doit rappeler l’exigence des femmes qui se s’étaient mobilisées avant cette loi Veil. “Être féministe, c’est lutter pour l’avortement libre et gratuit” proclamait, en 1971, le Manifeste des 343. Et ces femmes affirmaient nettement que : “La plus libérale des lois réglementerait encore l’usage de notre corps. L’usage de notre corps n’a pas à être réglementé” ; “Nous ne voulons pas une meilleure loi, nous voulons sa suppression pure et simple”.

2024 : la “liberté” d’IVG n’est toujours pas garantie

La phrase qui vient d’être inscrite dans la constitution “La loi détermine les conditions dans lesquelles s’exerce la liberté garantie à la femme d’avoir recours” à l’IVG constitue-t-elle une protection ?

Cette phrase indique qu’il revient au législateur de fixer les modalités d’exercice de cette liberté. Ce faisant, elle donne au Parlement, dit le Syndicat des avocats de France dans un communiqué, “les coudées franches pour restreindre l’accès à l’IVG” [1].

Cette “constitutionnalisation” ne protège pas l’accès à l’IVG. Et elle est en contradiction avec la revendication “L’usage de notre corps n’a pas à être réglementé”.

L’enjeu de la reconnaissance de l’IVG comme liberté fondamentale est de reconnaître aux femmes qu’elles sont maîtresses de leur propre corps et elles seules. C’est aussi reconnaitre la capacité de chaque femme à exercer cette liberté en fonction de ses convictions intimes. Cette défense politique s’inscrit dans la lutte historique contre les rapports de domination.

Or, la phrase inscrite dans la constitution n’est ni une protection du “droit” à l’IVG, ni même une garantie de la “liberté” de l’avortement.

Macron qui par ailleurs, défend un “réarmement démographique”, tout comme le RN, aura tous les moyens, si les conditions s’y prêtent, pour restreindre les “conditions” dans lesquelles une femme peut avoir recours à l’IVG (rappelons que la loi avait été durcie au lendemain de la Première Guerre mondiale pour pallier à la chute démographique).

Par contre, Macron tire aujourd’hui tout un bénéfice politique du résultat de cette opération louée par les directions syndicales, la quasi-totalité des forces politiques et des associations féministes qui considèrent qu’il s’agit d’un “progrès” sur lequel on peut s’appuyer pour demander des moyens. Nombre de communiqués affirment qu’il s’agit là d’un “moment historique”, d’“une promesse pour les femmes du monde entier”.

Défense de la liberté et du droit inconditionnel à l’IVG

Le combat pour la reconnaissance de l’IVG comme liberté fondamentale nécessite de faire toute la clarté sur ce “leurre grossier” que constitue cette procédure de constitutionnalisation (pour reprendre les termes du SAF).

Le combat pour le droit effectif à l’IVG doit plus que jamais être poursuivi, à commencer par la réouverture de tous les centres d’IVG fermés (130 depuis 15 ans selon le Planning Familial) et la possibilité effective d’un accès gratuit, sans restriction selon l’origine à l’IVG et sur l’ensemble du territoire (France métropolitaine et Outre-mer).

Hélène Bertrand, 20 mars 2024

Article paru dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique de mars 2024
https://emancipation.fr/la-revue/av...