À qui servent les divisions dans le féminisme ?

Saviez-vous que lors des rencontres internationales anti-autoritaires qui se sont déroulées à Saint-Imier en juillet 2023, le stand de la Fédération anarchiste a été attaqué à quatre reprises et certains livres brûlés parce qu’ils déplaisaient à certain·es se réclamant des “anarcho queers, transactivistes” ? C’est ce qu’on peut lire dans le nouveau livre de Vanina, édition Acratie : Les leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes. Faits confirmés par des camarades présent·es, médusé·es.

Mais comment est-ce possible ?

Vanina met en lumière, en s’appuyant sur des observations et des articles comme celui de J. Halberstam, comment, dans certains groupes qui se disent radicaux, intersectionnels, sont énoncés inlassablement les concepts de bienveillance et d’inclusion, et pourtant on s’y entre-déchire en s’accusant avec des termes comme TERF, transphobe, putophobe, grossophobe, cis blanc·he dominant·e, voire plus grave. Il s’agit de diaboliser celui ou celle qui pense autrement, sur le voile, la GPA, ou la prostitution par exemple. Iel devient un·e adversaire, il faut l’isoler, l’exclure en lui taillant une réputation qui le ou la rend indéfendable pour les autres. Pour se faire, les réseaux sociaux sont un terrain favori… mais cela se passe aussi en réunion ou manifestation comme contre des militantes du CREAL 76, le 8 mars 2023 qui ont rendu publique leur agression sur leur site. Le CREAL se décrit comme engagé contre l’extrême droite et pour les libertés, contre toutes les religions mais pas contre les croyant·es, et contre l’ennemi commun qu’est le patriarcat. Le 8 mars, elles ont été traitées de racistes, de fascistes. De jeunes hommes leur ont arraché leurs pancartes avec des injonctions de quitter la manifestation. Face à ces pratiques, relevant de la police de la pensée, pour préserver une illusoire unité féministe, beaucoup d’entre nous évitent ces questions qui fâchent.

JPEG - 29.3 kio

Il faut aussi citer Marguerite Stern qui en février 2019 lançait, avec d’autres, les collages féministes puis elle se met en retrait car de plus en plus de messages n’étaient plus en rapport avec les féminicides mais en rapport avec le transactivisme qu’elle considère comme renforçant les stéréotypes de genre imposés par le patriarcat. Elle dit ne pas être transphobe, mais que se proclamer femme ne le fait pas devenir. Depuis deux ans elle reçoit des insultes, des menaces de viol et de mort.

Mais comment en est-on arrivé là ?

Pourquoi cela prend-il tant de place, pourquoi cela est-il si diviseur dans les luttes anticapitaliste, antipatriarcale, internationaliste, que nous menons ?

Vanina donne des éléments de réponse en faisant l’histoire des thèses “post modernistes”, qui avec le néolibéralisme font émerger à partir des années 1980, d’abord aux USA, une idéologie valorisant les classes moyennes et leur style de vie, tourné vers soi, vers le “ressenti”, et une forme de victimisation quant aux dominations (race, sexe, classe).

Dans les années soixante-dix, les luttes féministes ont attaqué avec force le rôle social imposé aux femmes sur la base de leur sexe biologique (leurs organes sexuels et leur capacité procréative). Ce rôle rebaptisé genre est devenu dans la pensée postmoderniste une “identité” reposant sur le ressenti. Ces conceptions s’arrangent très bien du capitalisme, de l’exploitation, de la marchandisation des corps, tout en générant de la division de classe. En attestent le marché et les bénéfices que représente la transidentité pour les laboratoires pharmaceutiques et les établissements de “réassignation sexuelle” et l’économie de la reproduction avec “les femmes-ventres à louer” de la GPA (gestation pour autrui).

J’ai trouvé ce livre dense. Il pose une question essentielle et apporte un appareil critique toujours nécessaire, alors que l’égalité des droits et les droits des femmes sont toujours à défendre et à conquérir dans le monde entier. Comment donne-t-on davantage de force au féminisme anticapitaliste et antipatriarcal ? Comment être plus efficaces pour soutenir les femmes iraniennes, et celles qui de par le monde sont maltraitées et réprimées du fait de leur sexe ?

Emmanuelle Lefèvre

Les leurres postmodernes contre la réalité sociale des femmes, Vanina, éditions Acratie, septembre 2023, 300 p., 18€.

À commander à l’EDMP, 8 impasse Crozatier, Paris 12, edmp@numericable.fr

Article paru dans la revue L’Émancipation syndicale et pédagogique